«Le Radon, un risque sous-estimé dans l’habitat» | batimag.ch

26 novembre 2014 Par Nicolas Dubois

«Le Radon, un risque sous-estimé dans l’habitat» | batimag.ch.

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La Ligue suisse contre le cancer et l’Office fédéral de la santé publique consacrent cette année la journée du cancer au thème du radon. Une série de conférences et de débats auront lieu le 4 décembre à Berne sous le titre: «Radon – un risque sous-estimé dans l’habitat». La professeure Joëlle Goyette-Pernot de la Haute école d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg y expliquera notamment comment se protéger techniquement contre le radon.

Pouvez-vous nous préciser ce qu’est le radon et quels risques il représente.

Le radon est un gaz noble radioactif, incolore, inodore, insipide, descendant du radium, provenant lui-même de l’uranium 238. Naturellement présent dans l’air du sol, sa demi-vie est de 3.8 jours. Il se désintègre ensuite en d’autres éléments radioactifs dont le polonium, le bismuth et le plomb qui s’associent aux aérosols présents dans l’air. Lorsque le radon s’échappe du sol, il atteint normalement des concentrations inoffensives dans l’atmosphère. En revanche, il peut s’accumuler dans les espaces clos, comme cela peut être le cas dans les bâtiments. Les produits de sa désintégration peuvent alors pénétrer dans les poumons lors de la respiration, irradier les tissus pulmonaires et induire un risque de développer un cancer du poumon. Le radon est responsable d’environ 60% de l’irradiation naturelle subie chaque année par la population helvétique.

On savait depuis les Curie et Rutherford en 1900 que le radium extrait du minerai de Bohême libérait une «émanation» radioactive. Ce n’est qu’en 1924 que des mesures effectuées dans les mines de Saxe et de Bohême permettent d’établir une corrélation étroite entre la présence de radon et la fréquence du cancer du poumon chez les mineurs. Il faut attendre les études épidémiologiques tchèques et américaines en 1950 qui confirment ces observations pour que soit envisagée la prévention sérieuse du risque en milieu minier. Aujourd’hui nous savons que le radon est, après le tabagisme, la cause principale de ce cancer. On estime actuellement qu’en Suisse, il provoque 200 à 300 cas par année.

Des mesures régulières et des valeurs limites ont été édictées pour se protéger du radon…

En Suisse, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a été un précurseur en la matière. Les premières mesures ont été effectuées dans les bâtiments au cours des années 1980. En 1994, un cadre légal qui fixe des limites contraignantes dans un but de prévention (valeur limite de 1000 Bq/m3 dans l’habitation et de 3000 Bq/m3 sur les places de travail ainsi qu’une valeur directrice de 400 Bq/m3 dans l’habitat neuf ou rénové au même titre que les écoles) a été mis en place. C’est l’Ordonnance sur la radioprotection (ORaP)

En 2007, suite à de plus récentes études épidémiologiques effectuées dans l’habitat donc concernant des populations d’hommes, de femmes et d’enfants, la Commission Internationale de Protection Radiologique (ICRP) a révisé les facteurs de conversion et réduit par deux l’exposition annuelle tolérée par individu. En 2009, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) préoccupée par la question de qualité de l’air intérieur, a recommandé une approche similaire et fixe à 100 Bq/m3 d’air la valeur de référence dans l’habitat. Une valeur de 300 Bq/m3 d’air est toutefois tolérée lorsqu’il n’est pas possible d’atteindre 100 Bq.

La Suisse n’applique pourtant pas ces mesures minimales…

Sur la base de toutes les connaissances actuelles, l’OFSP s’est prononcé pour un seuil de 300 Bq/m3 d’air dans l’habitat. Cette valeur n’est pour le moment qu’une recommandation pour les édifices neufs ou rénovés. Elle sera vraisemblablement la valeur de référence dans la nouvelle ORaP, actuellement en cours de révision. Cette dernière devrait entrer en force d’ici 2016 ou 2017. Dans les lieux de travail, où en moyenne on passe trois fois moins de temps qu’au domicile, la norme devrait être de 1000 Bq/m3.

La géologie de notre pays est-elle propice au dégagement de radon?

Tout dépend de la quantité d’uranium 238 contenue dans le terrain. En effet, le radon en est une des filles. La Suisse présente différents types de sols. Certains granites et gneiss sont riches en uranium 238 comme c’est le cas dans certaines régions des cantons du Valais ou du Tessin ainsi que dans l’Est de la Suisse. Mais d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. Si les roches sont particulièrement denses, l’air a plus de mal à circuler et le radon n’est que très peu libéré. A l’inverse, dans le Jura karstique, les voies d’échappement du radon sont nombreuses.

Il est difficile de mettre en garde contre un danger invisible. Comment améliorer la prévention ?

En effet, la difficulté c’est que le radon est un gaz. Invisible. Inodore. Incolore. Sans mesure, il est impossible de savoir si une maison est touchée par le radon. D’où l’importance de la prévention, de la formation des professionnels et de la sensibilisation du public. Le plan d’action 2014-2020 de l’OFSP met justement l’accent sur cette formation.

A l’Ecole d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg où je travaille, quelques heures de cours sont introduites dès la formation de base des architectes et des ingénieurs civils. Il s’agit surtout d’une sensibilisation à la problématique du radon et à celle de la qualité de l’air intérieur.

Autrement, il existe depuis peu à Fribourg une formation supérieure, un CAS en Qualité de l’air intérieur de la HES-SO. Ces études avancées s’adressent aux professionnels du bâtiment, mais aussi à des géologues et experts en environnement. Elles permettent d’obtenir une certification en consultant de la qualité de l’air intérieur. Cette formation d’environ 30 jours sur une année se concentre sur les problèmes de l’amiante, du radon et des autres polluants chimiques et biologiques dans le bâtiment. Elle met l’accent sur la transition énergétique en cours et à venir du parc immobilier Suisse et de ses impacts sanitaires sur le bâtiment. La problématique du radon est traitée dans cette formation dans le cadre d’une collaboration entre l’EIA-FR et l’ENAC-EPFL.

Justement, comment influent toutes ces mesures énergétiques dans les mesures du radon?

La rénovation énergétique est effectivement un nouveau problème auquel nous sommes de plus en plus confrontés. En assainissant un édifice du point de vue de l’énergie, c’est à dire en le calfeutrant et en étanchéifiant son enveloppe, on modifie la physique même du bâtiment. Et le radon ne peut plus s’échapper. Avant, le radon s’échappait naturellement. Aujourd’hui il ne le peut plus…

Nous menons actuellement un projet de RA&D à Fribourg qui vise à étudier le comportement du bâtiment selon qu’il s’agit d’une rénovation énergétique traditionnelle ou d’une habitation Minergie. Les résultats préliminaires laissent à penser que les constructions Minergie neuves se comportent mieux vis-à-vis du radon. La raison est fort probablement due au fait qu’elles intègrent nécessairement un concept de ventilation, qu’elle soit mécanique ou naturelle ce qui n’est pas le cas dans une rénovation traditionnelle.

Mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Nous sommes seulement convaincus que les problèmes peuvent surgir à différents moments du projet que ce soit au niveau de la conception, de la mise en œuvre ou encore du comportement des occupants et de la maintenance.

Comment concrètement s’attaquer au problème du radon quand on veut construire? Et comment se préserver concrètement de ce danger alors même qu’on ne sait pas si cela sera un souci ?

Au départ, il faut aller consulter le cadastre radon sur le site de l’OFSP. Cela offre déjà une première indication quant au niveau de risque. Ensuite, il faut prévoir de mettre en œuvre des mesures préventives telles que l’installation d’un drainage sous dalle au cas où la mesure effectuée dans la maison une fois construite révèlerait la présence de radon.

De telles mesures préventives sont pratiques et relativement peu couteuses. Le drainage s’effectue à l’aide d’un simple tuyau qui circule sous cette dalle et qui ne coûte que quelques centaines de francs et s’avère extrêmement efficace. A Neuchâtel qui est un canton à risque élevé, c’est une obligation légale avant chaque délivrance de permis de construire.

Tout cela c’est pour les maisons en construction. Qu’en est-il des anciennes habitations?

En ce qui concerne les maisons existantes, il existe d’autres techniques pour remédier au problème et évacuer le gaz radioactif. Différentes méthodes existent et sont mises en pratique selon les conditions du terrain, le type de bâtiment ou encore le climat local, … Un bon exemple souvent utilisé en Suisse est le puisard à radon qui permet d’accéder sous les fondations du bâtiment et d’y extraire à l’aide d’une ventilation le radon contenu dans le terrain. On l’évacue alors activement dans le jardin ou en façade ou passivement lorsqu’il est possible d’exploiter un conduit de cheminée intérieur existant et non utilisé. L’intervention dans l’existant est néanmoins toujours plus délicate que la prévention sur du neuf et parfois même hasardeuse. Le résultat ne peut pas toujours être totalement garanti.

Propos recueillis par Jean-A. Luque